Article: Le Made in France dans la mode, fantasme ou réalité ?
Le Made in France dans la mode, fantasme ou réalité ?
« Tu utilises du lin c’est bien, mais c’est dommage ce n’est pas fabriqué en France »
Cette petite remarque récurrente a le don de m’exaspérer.
Je suis une marque qui tente à son petit niveau de faire de la « mode responsable » en proposant une gamme de chemises en lin confectionnée au Portugal. Je mets l’accent sur la traçabilité, la transparence et les matériaux que j’utilise.
Dans quelques jours le salon du Made In France ouvrira ses portes.
Tout le monde s’extasie, moi pas.
En premier lieu car je constate que partout le repli sur soi devient la norme ces derniers temps, la coopération, l’exception.
Des baskets, des t-shirts affublés de petits drapeaux bleu blanc rouge affichant fièrement leur nationalité, suis-je le seul à trouver ça perturbant ? Ces démonstrations de patriotisme exacerbé me font froid dans le dos.
Loin de moi l’idée de cracher sur le localisme, au contraire, en matière de nourriture, de consommable, de préservation des savoir-faire, cela me parait totalement nécessaire et censé.
L’idée de privilégier la proximité pour des questions environnementales fait sens, mais là encore, faisons preuve de bon sens en analysant la totalité de la chaîne.
Un sweat en coton indien fabriqué en France, ce n’est pas local.
Mes chemises ne sont pas Made in France, voici pourquoi:
L’indécence des prix
Cet été je suis tombé sur la marque qui fait des slips en France. Elle vendait des shorts de bains en polyamide à 130 €.
Pour rappel le Smic est à 1186 € net. Qui peut se permettre d’acheter un caleçon de bain à ce tarif ? Le made in France est-il réservé à une élite ?
En revanche, je comprends mieux qu'un pull en laine française tricoté et confectionné coûte un certain prix, car c'est une pièce intemporelle que l'on gardera des années. Idem pour un t-shirt en lin. Dans les deux cas, les matériaux sont nobles, locaux et préservent les savoir-faire locaux.
C'est le cas également pour la maroquinerie ou la chaussure de qualité ressemelables, avec un cuir tanné en France par exemple.
Un « label » flou
On le sait, il y a un peu de tout et beaucoup de n’importe quoi dans le made in France (donc aussi du très bien).
Dans le moins bien, ces ateliers clandestins au coeur de Paris, dans lesquels de petites mains chinoises s'affairent... beaucoup de marques y ont recours.
Le produit prend l’origine du pays où il a subi la dernière transformation substantielle.
Donc un coton Indien tissé au Pakistan, des boutons en plastique chinois, du fil à coudre en polyester chinois mais une confection française = Made in France ! Cocorico ! Une marque avec des valeurs !
A contrario, du lin français, filé en Pologne par une entreprise française, tissé en France, avec des boutons français, mais confection portugaise = Made in Portugal. Tu n’aimes pas ton pays ou quoi ? La France tu l’aimes ou tu la quittes ! Erf
(Je force un peu le trait mais vous voyez l’idée ;)
L’industrie de la mode et les petits créateurs
Pour nous, créateurs de petites marques, il y a 2 options :
- Distribuer en boutique notre marque, cette dernière prend une marge de 2,5 généralement (par ex prix public 120€ TTC, la boutique achète ma chemise 48€ HT x 2,5 = 120€ TTC)
Le créateur gagne moins mais il à une visibilité accrue dans des magasins qui ont pignon sur rue (et participe également au maintien de « boutiques » proposant des pièces de qualité dans des villes qui se déshumanisent)
Cela dit, de plus en plus souvent aujourd’hui, les boutiques n’achètent plus et font du dépôt vente. Moins risqué avec la concurrence digitale.
- Le sans intermédiaire, la vente directe sur internet, en vogue ces dernières années, pour casser les prix.
Et là, ça devient souvent n’importe quoi. Je ne vais pas m’étendre car ça pourrait faire l’objet d’un article à part entière.
Mais en gros, la plupart du temps, les créateurs éthiques ne margent pas pour pouvoir garder des tarifs compétitifs, et passent la plupart de leur temps à faire de la pub sur les réseaux sociaux à coup de sponsoring Facebook afin de vendre et se démarquer.
Genre moi lorsque j’ai lancé mes chemises sur Ulule à 79€ TTC. Ridicule, une marge à 1,5…
Comme mes collègues de la mode éthique Made in France ou d'ailleurs, je ne voulais pas m’adresser qu’à une frange aisée de la population. A quoi bon sinon ?
Des personnes qui ont souvent quitté des boulots bien payés pour donner du sens à ce qu’ils font se retrouvent dans la précarité. Ces gens là sont des saints, sachez-le et faites leur une bise quand vous les verrez au salon du Made in France :)
Des prix de confection exorbitants en France
A moins d’avoir son propre outil de production (comme 1083, le Gaulois Jeans, St James etc.) ou de grosses quantités, les tarifs pour une petite marque comme la mienne sont tout simplement inaccessibles.
Un sondage réalisé l'an dernier démontrait que les français été prêt à payer 5 à 10 % de plus pour un produit fabriqué en France. Ils sont mignons tiens !
Quand je pose la question « ok, tu serais prêt à mettre combien pour une chemise made in France ? » on me répond 100/120€
C’est une belle somme, mais si un caleçon de bain coûte 130€, une chemise… ce serait plutôt 290 € !
Nous sommes loin des chemises à 39€ TTC Zara et H&M…
- Regardons de plus près ce qu’il en coûterait si je voulais passer au Made In France :
On me demande 45/50 € HT pour faire une chemise en France
Ajoutons à cela du lin français (nos agriculteurs sont peu payés certes, mais plus que le paysan indien) tissé chez Emmanuel Lang en Alsace à 12€ HT le mètre (il faut 1,5 mètres pour une chemise et ce n’est pas le plus cher, en moyenne plutôt 14 €)(Le lin coûte cher, beaucoup de demande, peu d’offre et une main d’œuvre française/européenne).
Les boutons, environ 2 €, l’étiquette, environ 1 €, le packaging itou
50+18+4 = 72 € HT pour une chemise.
Avec la TVA, nous sommes déjà à 86€ TTC.
Si j’étais millionnaire et philanthrope (sic) je pourrais vendre mes chemises à prix coûtant mais la plupart des gens trouveraient ça déjà trop cher.
Les marges communément admises sont de minimum 2,5 pour inclure TVA, comptable etc (mais pas de salaire avec une marge si faible) de 5 lorsqu’on veut distribuer en boutique (marge à 2,5 pour soi, et 2,5 pour la boutique) et de 8 à 10 pour le luxe.
Admettons que nous vendions en direct :
72€ x 2,5 = 180€ TTC
Déduisez la TVA, les frais bancaires, les frais de port ou de retour qui sont devenus gratuits pour faire comme les géants type zalando, le comptable, les impôts, le loyer, les frais de shooting, de communication, (de salaire ?) etc. il vous reste quoi à la fin selon vous ?
Donc je me retrouve avec une chemise à 180€ qui coûte une blinde et ne me rapporte pas un copec (sauf à en vendre quelques milliers)
Mais vive le Made in France et la postérité ! Et les pâtes (Lustucru bien sûr)…
C’est exactement ce qui est arrivé à la marque Conouco qui vient malheureusement de fermer boutique. Il vendait des chemises en lin bio made in France à 140€. Trop cher pour ses clients, pas assez cher pour lui.
Une marge normale qui permettrait de développer sa marque et de ne pas être dans la précarité serait plutôt autour de 4. Mais alors la chemise couterait 288 € TTC. Et oui je sais…Nous sommes loin des 120 € fantasmés…
Voilà comment on finit par vendre nos produits fièrement estampillés Made in France aux japonais et aux américains lorsqu’on applique les prix réels.
Fabriquer au niveau Européen ?
C’est ce que font pas mal de marques, au Portugal ou dans les pays de l’Est.
C’est aujourd’hui l’idée qui me parait la plus viable sur un bilan cout écologique/économique même si je ne m’interdis pas de réaliser certaines pièces en France si j’estime que cela est viable ou que le projet vaut le coup (par ex des produits moins chers à la vente type caleçons, casquette, t-shirt, chaussettes)
- Exemple avec la filière lin :
Le lin pousse en France, il est arraché puis teillé et ensuite envoyé à la filature en Chine majoritairement (à 85%) ou en Europe de l’Est : Lituanie (pour la filature italienne) ou Pologne (pour la filature française).
Il y a un tisseur Lituanien qui réalise la teinture (oeko tex) dans son entreprise et qui a une partie confection.
Faire appel à cette entreprise permet d’éviter toutes les allées et venues entre pays, et le coût environnemental s’en trouve largement réduit.
Les portugais ont également un savoir-faire sur la confection et des tarifs très attractifs.
Dax est plus proche de Porto que de Lille…
Une chaîne 100% Européenne pour habiller les Européens. Cela me semble faire sens non ?
Évidemment, je n’oublie pas les dysfonctionnements de l’UE sur l’harmonisation fiscale, salariale et sociale.
Doit-on profiter de ce que les salaires portugais ou lituaniens sont plus bas que les nôtres (mais qui ne sont pas forcément plus malheureux qu'un salarié français) ?
Est-ce un mal nécessaire (mais bien moindre que la fast fashion et souvent même que le made in France) pour permettre à plus de français de se tourner vers un vestiaire écoresponsable ?
La France a-t-elle vocation à redevenir un pays industriel ?
Un produit français et responsable comme l’exemple de la chemise en lin, ne peut pas être vendu en boutiques à cause de son prix. Ces boutiques vont-elles disparaitre ? Ces commerçants n’ont-ils pas le droit à l’emploi ?
Doit-on augmenter les salaires pour que les français achètent nos vêtements ? ;)
Beaucoup de questions qui ont, je crois, le mérite d’être posées.
Crédit photo : CELC (confédération Européenne du Lin et du Chanvre)
Christophe
7 commentaires
Bonjour,
Merci pour cet article très intéressant. J’aime acheter des vêtements, et essaie de le faire de plus en plus avec bon sens. Je trouve cet article utile car il permets de prendre un peu de recul sur tout ce marketing “Made in France” bien symbolisé par ces drapeaux français sur les fringues qui sont souvent galvaudés. Il faudrait plus de communication dans le sens de cet article, car je trouve que la difficulté est là: rendre le consommateur éclairé, car même parfois en étant prêt à mettre la main au porte feuille et animé de bonnes intentions, on ne cautionne pas nécessairement ce que l’on souhaiterait. Une bonne piste serait pour moi de contrainte à une étiquette sur chaque vêtements plus complète, avec origine de la matière, du tissage, de la confection. Bonne continuation à vous
Boyer
Bonjour, merci pour cet article éclairant et pédagogique. Qui sont ces ateliers “clandestins” à Paris? Du denim?
Sinon effectivement, la chemise (en lin ou non) est un bel exemple d’un prix de revient élevé. On comprend pourquoi 1083 n’a pas de chemise à gamme. La Gentle Factory et AVN en ont, à des prix qui se tiennent. Je ne sais pas s’ils gagnent bcp d’argent…
Merci en tout cas.
MArk
Larryerake
Bonjour, merci pour ces éclaircissements. Serait-il possible de s’associer aux fabriquants français pour “profiter” de leurs structures ou est-ce complètement utopique ?
Merci
LAURE
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Helennelet
bonjour Christophe,
vous avez beaucoup de courage d’écrire les choses sans filtre
je constate une grande hypocrisie dans la tendance “green”
on hurle à l’apocalypse , on mets au pilori ,mais on occulte les efforts et le changement de comportement personnels présupposés
le courage n’exclut pas le risque
Romain
Dendievel Romain
Très belle photo d’illustration de cet article.
Bonne analyse des coûts , d’aucuns devraient en prendre de la graine
Emmanuel de Saint Martin
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